Les dépôts : rotonde ou remise à voies parallèles ?

Ce grand et spectaculaire bâtiment qui trône au cœur des dépôts, que l’on appelle la rotonde quand il s’agit d’une remise circulaire, fait figure, dès le début de son ère, de véritable temple du chemin de fer, et dont l’entrée est réservée à une caste d’initiés que sont les équipes de conduite et les agents d’entretien des locomotives. Mais il y a toujours eu un choix possible entre la remise circulaire (dite parfois « annulaire ») et la remise classique à voies parallèles. Et ce choix ne fut pas facile, comme c’est toujours le cas pour les choix fondamentaux qui engagent un système lourd et coûteux.

Le dépôt de Bordeaux-St-Jean vu dans les années 1970. La remise a la particularité d’être à la fois circulaire mais aussi rectiligne du fait de la présence de deux ponts tournants jumelés, chose tout aussi rare ! Le Midi est vraiment le réseau des solutions techniques spéciales…
Belle ambiance intime et intimiste dans un petit dépôt du réseau de l’est. Cliché Pierre Debano, cheminot de son état et, comme tous les cheminots, artiste très sensible. Le « pare-caténaire » ajouté à l’abri de conduite est le dernier acte de soumission de la locomotive à vapeur à sa concurrente électrique.

La conception des premières remises anglaises : la rotonde reste à inventer.

La vue habituelle, sur un grand nombre de gravures d’époque, montrant le concours de Rainhill, ne nous apprend rien sur la conception des dépôts de l’époque, mais montre surtout la tribune ou s’entassent les personnalités et les invités, occupant tout l’arrière-plan de l’illustration. On voit a locomotive « La Fusée » de George Stephenson, accompagnée de la « Novelty » de Ericsson et Braithwaite avec sa chaudière verticale posée à l’extrémité d’un châssis à plate-forme, puis la « Sans pareil » de Hackworth avec ses roues accouplées et ces cylindres verticaux actionnant les roues motrices arrière. Et pourtant ces locomotives exigent des installations pour leur préparation et même leur entretien, car, comme on l’apprend par les textes de l’époque, les pannes furent nombreuses et les forgerons s’activaient, pendant le concours, pour réparer les locomotives ou même les reconstruire, tellement elles avaient d’imperfections techniques.

Ce qui serait intéressant serait de pouvoir regarder dans l’autre direction, chose possible grâce à une gravure exceptionnelle parue dans le livre de Max de Nansouty « Chemins de fer et automobiles » (1910). On voit, au fond à droite, une des premières remises à locomotives de l’histoire du chemin de fer. Un bâtiment rectangulaire à haute porte d’extrémité, et une voie qui pénètre selon l’axe du bâtiment.  La cheminée est celle d’une forge. Mais une photographie du même bâtiment prise vers 1880, alors que le bâtiment existe toujours par miracle, montre le corps de bâtiment d’origine, mais il a été transformé en usine à gaz, d’où les ouvertures avec treillis de bois.

La gravure parue dans l’ouvrage de Max de Nansouty : la première remise (ou atelier ?) de l’histoire des chemins de fer, celle de Georges Stephenson, est au fond, à droite. Il s’agit des installations faites pour le concours de Rainhill en 1829.

D’autres remises-ateliers de ce genre ont été construites en Angleterre, pour les débuts de la locomotive à vapeur. Par exemple, l’atelier de Hackworth, datant de 1834, et photographié vers 1890, et paru dans « The locomotive magazine » de 1898 est de conception analogue mais doté d’un système de levage des lourdes pièces accolé à l’extérieur. Une vue, prise vers 1860 à Liskeard, montre un dépôt dont l’état de vétusté peut le faire remonter aux débuts de la locomotive à vapeur. On retrouve toujours cette disposition longitudinale avec une ou deux voies pénétrant dans l’axe du bâtiment, et, toujours aussi, le système de levage extérieur, placé contre la façade.

La remise-atelier de Hackworth, un des précurseurs de la création et de l’utilisation des locomotives à vapeur en 1834. Noter l’appareil de levage formé par des poutres dressées et inclinées, et comportant un palan. Ce système est très répandu dans les premiers dépôts britanniques, et toujours à l’air libre.

Une vue du dépôt de Swindon, prise en 1907, nous montre un équipement datant des origines de 1842, mais nous notons que quinze à vingt années d’évolution sont présentes, notamment en matière de levage : la grue roulante, posée sur les murs épais remplace le rudimentaire système extérieur à trois poutres. Elle est toujours mue par la seule force de l’homme et correspond à ce que l’on trouve dans les ateliers de charronnage du siècle précédent. La disposition des locomotives, placées côte à côte perpendiculairement à une voie d’accès centrale, desservie par un pont transbordeur situé à l’extérieur de l’atelier, est la règle maintenant. La pratique anglaise des installations sur voies parallèles, sans pont tournant, reste en vigueur jusqu’à aujourd’hui puisque le Royaume-Uni la conserve pour ses dépôts diesel des années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, et ses dépôts en traction électrique.

Remise-atelier anglais vu vers 1860 : la disposition des locomotives, très malcommode, reste surprenante et demande des moyens de levage importants pour les mettre sur la voie de service centrale ou les en retirer. La grue roulante, au-dessus d’elles, aura du travail.

La conception de la remise dans les dépôts français.

L’évolution en France, menée par Marc Seguin avec son chemin de fer de St-Etienne à Lyon, se fait à partir du bâtiment rectangulaire primitif anglais, c’est-à-dire la remise–atelier rectangulaire avec accès par le pignon, dans l’axe du bâtiment et posée sur un faisceau de voies dit « gril ». Les ingénieurs britanniques qui construisent les premières lignes et les premiers dépôts français, notamment pour les réseaux de l’Ouest et du Nord, apportent tout naturellement avec eux la conception qui est celle de leur pays d’origine et qui, à leurs yeux, est la meilleure. Le bâtiment de type britannique évoluera en France (comme au Royaume-Uni et ailleurs en Europe) par élargissement avec une forte multiplication des voies parallèles, et par allongement avec la possibilité de garer plusieurs locomotives à la suite sur une voie. Le dépôt britannique conservera longtemps cette disposition, et rares seront ceux pratiquant, pour le remisage des locomotives, le grand pont tournant avec sa rotonde qui se développe plutôt en France et gagne le Royaume-Uni en traversant la Manche en sens inverse.

Cette disposition anglaise des origines donne la grande remise rectangulaire avec faisceau d’accès se terminant par des voies parallèles en impasse, mais elle montre rapidement son grand désavantage si l’on place plusieurs locomotives à la suite les unes des autres sur une même voie : l’obligation de sortir toutes les locomotives qui sont « derrière » celle dont on a besoin…. Tout l’art du chef de dépôt avisé consiste à ranger ses locomotives en mettant « au fond » celle qui sortira la dernière et « devant » celle qui sortira la première. Ceci explique que, tout aussi rapidement, les réseaux français se tournent vers la remise circulaire, ou rotonde, qui permet de dégager à volonté telle ou telle machine individuellement sans avoir à déplacer les autres. 

Le dépôt de Rouen en 1843 : influence technique anglaise à 100 % et donc aucune rotonde n’est utilisée. Certaines remises atteignent des proportions considérables, comme celle qui est à droite en bas sur le plan. Doc. Petiet.
Construit à Trinquetaille en 1867, le fameux dépôt d’Arles est fidèle à la remise classique à voies parallèles du fait de la présence des ateliers. De rares petites plaques tournantes permettent le « virage » de locomotives courtes.

C’est ainsi que la rotonde ou encore dite « remise annulaire », avec son pont tournant, apparaît dès 1849 dans les installations de la gare de l’Est, au dépôt de la Villette, si l’on se fie aux documents de l’époque. Ce serait la plus ancienne rotonde de France, avec une charpente en bois et un diamètre de 37 mètres, offrant un éventail de 8 voies donnant sur une grande plaque tournante ayant un diamètre de 12 mètres, chaque voie hébergeant une seule locomotive. Le mouvement est lancé et le chemin de fer, en France, restera fidèle à la rotonde. Notons que, devenue trop petite pour la gare de l’Est, cette rotonde sera démontée et reconstruite à Nogent-sur-Marne pour les besoins de la ligne de Vincennes et quand cette ligne abandonnera la traction vapeur en 1969 avant de devenir la ligne « A » du RER la rotonde était encore en service et en état d’origine !

Les rotondes ou « remises annulaires » de La Villette vues vers 1910, pionnières du genre en France. Ce genre de rotonde, entièrement couvert, recevra parfois le surnom de « rotonde à chapeau ”.
Ensemble d’ateliers desservis par des grils et de rotondes avec pont-tournant vu sur une gravure datant des années 1870.
En 1870, beau plan de rotondes classiques du PLM paru dans le cours de chemin de fer de Sévène.

En traction électrique ou diesel, les dépôts de la SNCF restent toujours très fidèles à la rotonde, même lors de la reconstruction au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La rotonde, même de type « P » des années 1950, offre toujours les mêmes avantages de disponibilité immédiate et au choix de telle ou telle locomotive. Il est vrai qu’il est impossible, par contre, de garer ainsi des rames TGV et que l’EIMM actuel pour les TGV revient en force à la disposition parallèle initiale, comme c’est le cas particulièrement à Villeneuve-Saint-Georges, à Montrouge, au Landy, ou à Pantin.

Les 241-P au dépôt de Mulhouse en 1967. Notons que le cliché a été pris depuis le dessus du tender par un cheminot acrobate. Doc.LR-Presse.
Le dépôt de Calais en 1964. Les 141-R et 231-K dominent la situation, mais pour peu de temps encore. Cliché Néel.
Une belle rotonde vue à Annemasse en 1970.
Construite en 1876, la rotonde du Teil, près du Rhône sur la rive droite, est vue ici vers 1910. Elle est devenue, aujourd’hui, un centre commercial. « Sic transit gloria….»
Comme ici à Alès, certaines remises, du fait de la guerre, en perdent leur « chapeau ». Les autorails couchent à la belle étoile.
Ambiance très parisienne (« on se tasse », « poussez-vous », « faites la queue ”, etc) au dépôt du Charolais où, comme dans toute la Ville Lumière et capitale des beaux esprits et des grandes intelligences, le prix du mètre carré met l’existence quotidienne hors de prix. Les veinards habitant les immeubles en arrière-plan ont une vue imprenable sur les locomotives.
L’âge d’or du Charolais, ici en 1909. Le problème du manque de place semble avoir été provisoirement résolu.
« Au Charolais », dans les années 1990, la place aura manqué… jusqu’au bout.
Le dépôt de Paris-Masséna dans les années 1980. La modernité est en marche au détriment de la poésie.
Spectaculaire vision d’une remise « circulaire » ou « annulaire » presque à 360° et d’un « parc » à Lyon-Vénissieux, en 1963. C’était, quand même, grandiose …

Les textes officiels quant à l’emplacement des « dépôts de machines ».

Le « Dictionnaire législatif et règlementaire des chemins de fer » de J-G Palaa, paru en 1887, nous apprend, au chapitre « dépôts » … qu’ils sont interdits le long des voies, jusqu’à ce que l’on comprenne qu’il s’agit des ordures et matériaux divers dont les citoyens de l’époque, pas très « écolos », ont tendance à se débarrasser, de nuit surtout, sur les voies ferrées. Après les dépôts faits par les compagnies (et donc autorisés), et après les dépôts de bagages et de marchandises dans les gares, on arrive enfin aux dépôts de machines. Cet ouvrage est donc bien organisé administrativement, c’est le moins que l’on puisse dire.

Ces dépôts sont définis comme des « bâtiments établis sur divers points de la ligne de chemin de fer pour servir de dépôts aux machines du service courant et aux locomotives de réserve et de secours, servant aussi d’ateliers pour les petites réparations ». Les textes officiels cités par le dictionnaire précisent que « Ces établissements, où l’entretien des machines locomotives est surveillé avec un grand soin, sont situés dans les principales gares, distantes, moyennement, entre elles, de 100 kilomètres ».

IL est évident que cette distance est très courte, et qu’elle est dictée par la faible contenance en eau et charbon des petits tenders à deux essieux de l’époque qui n’emportent que quelques tonnes de charge. Notons que, vers la fin de la traction vapeur un siècle plus tard, l’autonomie en charbon et en eau des puissantes locomotives « Pacific » et « Mountain » et des tenders de plus de 30 tonnes, permettra des étapes dépassant 250 à 300 km couramment, tandis que la prise d’eau en marche, très développée au Royaume-Uni, permettra des Londres-Edinbourg sans arrêt, soit plus de 600 km. Aux USA, d’immenses tenders de 90 tonnes de combustible et d’eau, et aussi la chauffe au mazout permettront des parcours encore plus longs.

L’organisation du travail dans les premiers dépôts français.

Important des locomotives anglaises, observateur du chemin de fer anglais, Marc Seguin est porté à adopter les méthodes de travail et d’organisation du chemin de fer d’outre Manche. Seguin ne distingue donc pas, initialement, le dépôt des ateliers. Les machines sont entretenues et préparées dans des lieux servant aussi à la fabrication et à leur réglage, leur perfectionnement. C’est encore une époque où l’on pratique un « chemin de fer de proximité », ligne par ligne : les réseaux ne sont pas encore constitués, mais, à partir de la fin des années 1830, ils vont se constituer et provoquer la création de grands ateliers et de nombreux dépôts séparés par de grandes distances et dispersés sur l’ensemble du territoire.

A l’époque de Seguin et jusque vers 1870, les locomotives sont de petites dimensions:
la longueur est inférieure à 8 mètres et le poids à 10 tonnes, ce qui réduit la capacité du tender à 5 tonnes d’eau et 3 tonnes de charbon. L’autonomie des machines est donc limitée à une distance comprise ne pouvant pas dépasser la cinquantaine de kilomètres. La conséquence de ce manque d’autonomie est la multiplication des points de prise d’eau et de ravitaillement en charbon, puisque les locomotives, soit retournent à leur point de départ, soit poursuivent leur route, et doivent donc se réapprovisionner avec une fréquence considérable.

Le dépôt Nord de Creil en 1890. Les « Courte-queue » excellent sur la ligne dans le service des marchandises. Sur la gauche, des tas de charbon impressionnants. À droite, un poste d’aiguillage à l’air libre, donc sans cabine : les aiguilleurs bronzeront.
Toujours sur le Nord et proche de Paris : le dépôt de Persan-Beaumont : un élégant visiteur profite du passage du photographe et pose pour la postérité, entouré par la « hiérarchie » de la gare. .
Le dépôt de Montluçon en 1883 : la présence de nombreux cheminots, au fond, prennent la pose devant la remise classique à l’anglaise.

La « baraque des noirs » et non des Noirs.

Les châteaux d’eau ont une contenance de 50 à 100 m³ et la prise d’eau se fait souvent dans un cours d’eau voisin par de petites pompes à vapeur. Le charbon est stocké dans des parcs équipés de stalles de séparation pour éviter le mélange des types de charbon, et, jusqu’à la guerre franco-prussienne, le charbon est chargé à bars et dos d’homme au moyen de paniers. Le nom de « coketiers » est parfois donné à ces hommes, et il est transformé progressivement en « cocotiers »” … et comme ils mangent et dorment dans ce que l’on appellera, à diverses variantes près, la « baraque des noirs » (vu qu’il sont noirs par la poussière de charbon qui les recouvre des pieds à la tête), on comprend qu’un surprenant exotisme faussement africain ne soit pas de mise pour ces premiers dépôts !

Ce n’est qu’à partir de la fin du Second Empire que des grues à vapeur apparaissent, non tellement pour des raisons humanitaires et par désir d’éliminer un travail pénible et ingrat, mais parce que les tenders ont augmenté en fonction des performances des locomotives et le culte de la vitesse et de la minute gagnée impose des stations moins prolongées, dans les dépôts, pour les locomotives. Ces opérations d’approvisionnement vont contribuer à maintenir le garage dans des remises, les parcs à charbon et les grues hydrauliques étant desservis par des voies de service du dépôt.

Cette nécessité se retrouve non seulement dans les grandes gares de départ ou d’arrivée des trains, mais jusque dans les gares d’embranchement où les mouvements de trains peuvent amener plusieurs locomotives à se retrouver pour le réapprovisionnement ou des opérations d’entretien. Une seule voie de garage ne suffit plus et une remise formée de deux, trois ou quatre voies parallèles ou une rotonde à plusieurs stalles doivent être installées pour permettre le service de ce que l’on appellera des annexes-traction recevant ces locomotives de passage.

Chargement avec un panier sur l’épaule et avant l’époque des grues à vapeur, d’une locomotive-tender.031.683.(613 à 742).Est, ceci en 1903.Photographie parue dans l’ouvrage de Max de Nansouty « Chemins de fer et automobiles » (1910).

L’extension de l’utilisation des rotondes.

La rotonde est rapidement adoptée par les compagnies de l’Est et du Paris, Lyon et Méditerranée, car elle présente non seulement un rapport intéressant entre le nombre de locomotives garées et la surface occupée au sol, mais elle permet toujours, même pour les grands dépôts, une sortie immédiate des locomotives ou leur garage rapide.

Mais il y a un inconvénient dans le fait que l’accès aux voies est commandé par le pont-tournant, appareil de voie fragile, et toutes les locomotives garées dans la rotonde risquent d’être bloquées en cas d’avarie du pont-tournant. Une autre forme de blocage du dépôt entier se produit plus simplement lorsqu’une machine déraille en s’engageant sur le pont-tournant ou en le quittant. L’accident le plus stupide – mais cela est souvent arrivé – est la chute d’une locomotive dans la fosse circulaire du pont-tournant, du fait d’une mauvaise coordination entre les agents de conduite et l’homme chargé de manœuvrer le pont !

Certains auteurs expliquent ce choix de l’Est et du PLM en faveur de la rotonde par la rudesse des hivers dans les régions desservies par ces deux réseaux, mais la rotonde a été utilisée aussi à Orléans, Tours ou Nîmes à la même époque, et pourtant dans des pays aux hivers plus cléments. Et si la compagnie de l’Est construit des rotondes à Mohon, Metz, Mulhouse, Belfort, Verdun, Troyes et Epinal, la même compagnie établit des remises rectangulaires sur grils de voies parallèles, à Château-Thierry, Epernay et Reims, ceci sans doute du fait de la forme des terrains disponibles.  Certaines remises de la Compagnie de l’Ouest sont rectangulaires comme à Caen et aux Batignolles, bâties entre 1855 et 1870.

Les remises rectangulaires ont leurs arguments.

Avec le système des remises rectangulaires, donc à l’anglaise, les locomotives sont garées sur des voies parallèles entre elles et parallèles par rapport au faisceau des lignes principales. L’accès à ces voies de garage est commandé par de simples appareils de voie ou, si le nombre de voies est en augmentation, par un pont transbordeur qui permet, en se déplaçant latéralement sur un faisceau de voies parallèles, de sortir rapidement le matériel roulant qui s’y trouve garé.

Les avantages de la remise rectangulaire, recouvrant partiellement les voies d’un gril, sont de permettre un dégagement rapide des locomotives si elles sont classées en fonction des heures de prise de service (ce qui est la moindre des choses dans un dépôt !) et d’autre part, l’autre grand avantage est la forme générale de l’installation qui convient, en général, mieux aux emprises disponibles pour des chemins de fer : le terrain dont on peut disposer est souvent de forme allongée, disponible parallèlement aux voies principales, ce qui est plus souvent facile à acquérir en milieu urbain, alors que la rotonde occupe beaucoup de terrain, et un terrain qui, à proximité de la gare, a rapidement pris de la valeur.

Mais il faut souvent accepter qu’une partie ou la totalité des locomotives couche à la belle étoile, car une couverture totale des voies sur plusieurs centaines de mètres est très coûteuse – mais se réalise bien, actuellement, pour les ateliers des rames TGV.

Il est à noter que les deux types de remises peuvent coexister, y compris dans un même dépôt. Il semble aussi que les conditions foncières, favorables ou non à l’achat des terrains par les compagnies, aient décidé du type de dépôt à construire, et en fonction de l’époque d’achat. Le désir de mettre toutes les locomotives garées à l’abri n’est financièrement acceptable qu’avec les dépôts à petits effectifs du début, c’est-à-dire ne dépassant pas une quinzaine de locomotives par dépôt. Vers les années 1850, les grands dépôts comptent plusieurs dizaines de locomotives, et la remise rectangulaire à voies parallèles a désormais ses partisans. Le dépôt des Batignolles, desservant la gare Saint-Lazare, choisit cette formule pour loger un effectif qui atteint cinquante-deux locomotives dès l’année 1850, d’après l’ingénieur et historien de la traction Yves Machefert-Tassin.

Héritier de l’ancien réseau de l’Ouest en 1909, le réseau de l’État reste sous influence anglaise avec des remises à voies parallèles comme ici au fameux dépôt des Batignolles à Paris vu dans les années 1930. Une plaque-tournante sera posée dans le parc à combustibles, près des Maréchaux, pour le retournement des machines.
Remise classique à voies parallèles, donc sans pont-tournant, chez les « Estos » (surnom donné aux cheminots du réseau de l’Est) dans les années 1880.
Même au dépôt de Aulnoye-Aymeries, haut lieu historique de la pensée nordique ferroviaire française, on ne pratique pas la rotonde et son pont-tournant, comme on le voit ici sur cette photo RGCF de 1929. Certes, la tour du poste de commandement dite « Florentine » compense ce manque et sa fine silhouette se détache devant la grande remise rectangulaire.

La présence des ateliers joue aussi un rôle pour le choix des remises.

Les premiers ateliers sont, au niveau de l’organisation du travail, très artisanaux, tant dans l’esprit des ouvriers que des techniques mises en œuvre : c’est véritablement du charronnage, avec des pièges en fer forgées à la main, des pièces en bois, de la robinetterie et des pièces moulées au sable.  Et lorsque les locomotives reviennent au dépôt en mauvais état, ce charronnage se transforme en charronnage d’urgence… C’est souvent le cas à l’époque, car les locomotives ne sont pas encore au point, ne peuvent « encaisser » les rudes tâches qui les attendent, et les exploitants des réseaux les « exploitent » à tous les sens du terme, cherchant à tirer le maximum de ces machines qui n’ont pas encore atteint leur maturité technique. Les réseaux, il faut le dire, sont l’objet d’une forte demande de transport, et les actionnaires, comme les investisseurs, attendent les substantielles rentrées financières promises.

Cet aspect artisanal aurait pu amener un éparpillement de ces ateliers en un grand nombre d’établissements de petite taille et fonction des points singuliers des lignes, mais Marc Seguin, qui crée le chemin de fer moderne en France, recommande d’implanter les ateliers et les dépôts “là où l’importance du mouvement commercial nécessite le stationnement du matériel”, écrit-il dans son ouvrage : « De l’influence des chemins de fer et de l’art de les tracer et de les construire », paru chez Pitrat, à Lyon, en 1839. Ce sera le cas sur sa ligne de St-Etienne à Lyon.

Il préconise la construction de locomotives simples, facilement réparables, et aussi la standardisation des pièces de rechange permettant de réduire les frais. Ces vœux sont en partie exaucés, les ateliers se fixant à côté des dépôts et des remises, mais, chose non prévue par Seguin et créée par les conditions économiques de l’époque, la multiplication des petites compagnies entraîne de fait une grande hétérogénéité du matériel roulant parce qu’elles agissent sans concertation et en utilisant parcimonieusement des fonds propres.

L’influence britannique contribue à concentrer l’industrie de fabrication des machines en les mettant entre les mains de grandes entreprises. En France, dès 1843, des machines britanniques construites par Fenton, Murray-Jackson, Sharp-Roberts sont importées en France, et la firme Buddicom construit à Sotteville, près de Rouen, des locomotives pour la compagnie portant ce nom. Entièrement en métal, ces machines font disparaître le charronnage à base de fer et de bois vers 1850. Les ateliers, contigus aux remises durant les premières années, vont se développer au fur et à mesure des progrès du trafic, au point de rechercher un site propre, à proximité des principaux dépôts. À l’instar des grandes usines anglaises, le bâtiment est de forme rectangulaire, la longueur du bâtiment étant orientée dans le même sens que le faisceau des voies principales, et leur extrémité donnant sur les propres voies des ateliers reliées entre elles par un chariot transbordeur.

Cependant, dès 1850 sur le Paris-Orléans et le Midi, ces voies de service des ateliers sont perpendiculaires, l’accès s’effectuant par des ponts tournants comme c’est le cas à Vierzon, à Tarbes, à Toulouse. À partir des années 1850, une hiérarchie va s’établir parmi les ateliers. Alors que le nombre de locomotives construites en France atteint 90 % du parc total des réseaux, de grosses usines spécialisées dans le matériel roulant se mettent en place. La plupart des compagnies vont concentrer les opérations les plus lourdes, comme la réparation des chaudières, dans un ou deux grands ateliers leur appartenant ou affermés à des “entrepreneurs de traction », selon le terme de l’époque.

Le premier âge des dépôts.

 En 1842, le réseau français comprend douze grandes lignes en exploitation, mais, pour le moment, il n’y a pas de véritables dépôts importants et organisés. Il y a ce que l’on n’oserait appeler des « stations service » assurant, dans la plus grande improvisation, les réparations d’urgence, et fournissant le charbon et l’eau.

La plupart de ces établissements primitifs ont en commun d’avoir une remise circulaire abritant de huit à seize voies, donc utilisant de huit à seize locomotives. Les murs en pierres soutiennent une charpente en bois recevant un dôme : l’ensemble est donc couvert, mais peu lumineux intérieurement. Un petit atelier a été construit contre la rotonde. Une plaque ou un pont tournant de douze mètres de diamètre et dont la fosse est recouverte de planches tournant avec le pont et se raccordant avec le plancher de la rotonde, permet l’orientation des machines vers la sortie, par une voie donnant accès à la prise d’eau et au bac à charbon.

D’autres établissements sont construits dans les gares d’embranchement, ou tous les cinquante kilomètres sur les grands itinéraires, dans des lieux inhabités ou de petits villages qui deviendront de grandes villes vers la fin du XIXe siècle, créées de toutes pièces par le chemin de fer.  Ces établissements ont, en général, des grils à deux ou trois voies reliées par une plaque tournante et une petite remise rectangulaire en maçonnerie, avec les installations nécessaires de prise d’eau et de ravitaillement en charbon.

Les premiers dépôts français en 1842 d’après Yves Machefert-Tassin.

CompagniesSites des dépôtsDate de créationEquipement
Paris à StrasbourgLa Villette1849Une rotonde à douze voies
NordLa Chapelle1846-1849Deux rotondes, deux ponts tournants, un atelier
NordAmiens1846Une remise à voies parallèles
NordFives1846Une rotonde
Paris à Saint-GermainBatignolles1843Un gril, une remise rectangulaire
Paris à Versailles-Rive GaucheMontparnasse1840Une rotonde à douze voies
Paris à RouenSotteville1843Une remise
Paris à OrléansChevaleret1843Une remise circulaire
Paris à OrléansTours1846Une rotonde à seize voies
Bordeaux à La TesteBordeaux1841Une remise circulaire
Mines de la Grand CombeAies1845Un garage à cinq voies
Grand CentralSaint-Etienne-La Terrasse1850Une rotonde à huit voies

Plus grand, plus beau, plus performant.

A partir des années 1855-1860 les progrès considérables, et surprenants pour les ingénieurs de l’époque, du trafic amènent une importante transformation de ces établissements. Les remises doivent être agrandies pour recevoir des locomotives plus longues et plus puissantes, ce qui est possible pour les remises rectangulaires que l’on peut allonger, mais franchement impossible pour les rotondes : il est donc possible que les remises rectangulaires aient été adoptées par les dépôts nés de l’expérience de plusieurs agrandissements successifs. En ce qui concerne les rotondes, soit elles sont démolies pour laisser la place à de nouvelles soigneusement prévues dans des dimensions permettant aux locomotives à venir d’y trouver place et équipées de ponts tournants de 23 mètres. C’est souvent que l’on en profite pour construire des rotondes partielles, dites « en demi lune », qui permettent, à moindre coût, de loger des locomotives plus longues et moins nombreuses.

Un autre effet est une meilleure évacuation des fumées, une amélioration de la luminosité intérieure du bâtiment par des toits vitrés en « Z » facilitant l’entretien et les réparations. Ces nouvelles dispositions permettent le garage de plusieurs dizaines de locomotives. A la fin du XIXe siècle, et déjà au lendemain de la guerre franco-prussienne, certaines remises circulaires d’un diamètre de 90 mètres sont mises en service, dans des établissements ayant un parc d’une cinquantaine de locomotives.

D’autres établissements, sous la poussée du trafic, écartent d’emblée la rotonde et choisissent la remise rectangulaire qui pourra toujours, si besoin est, être agrandie. C’est, par exemple, le cas des Batignolles ouvert en 1843, lors de la construction de la ligne de Paris à Rouen. Un autre établissement assure le service des locomotives pour les deux lignes de Saint-Germain-en-Laye et de Versailles-Rive Droite qui ne relèvent pas, pour le moment encore, de la compagnie de l’Ouest possédant la ligne de Paris à Rouen. L’accroissement de trafic normand demande l’agrandissement du dépôt sur le côté sud des voies, au-delà de la rue Cardinet, sous la forme d’un faisceau de voies parallèles. Le dépôt, en 1845, gère un parc de plus de cinquante locomotives. Un second agrandissement doit être entrepris en 1880, au-delà du boulevard Berthier. Ces travaux permettent d’aménager un élargissement en éventail du faisceau jusqu’à ce que l’on appelle alors les « fortifications ». Il faut alors construire un pont tournant et une liaison, par des sauts-de-mouton, vers les voies des grandes lignes et vers la gare de marchandises qui sont situées au nord de l’ensemble des voies venant de la gare Saint-Lazare. L’électrification Paris-Le Havre signe l’arrêt de mort du  grand dépôt vapeur des Batignolles en 1967, et lui laisse cependant les locomotives diesel de la ligne de Caen et de Cherbourg, plus les rames de banlieue Z-6300 et Z-6400. Puis c’est la fin, avec la transformation en centre Sernam, et un centre d’informatique de la SNCF – important, il est vrai, mais ce n’est guère une consolation…

Le pont tournant, autre point fort de la rotonde.

Si la plaque tournante est une pièce plate et circulaire, le pont tournant est véritablement construit comme un tablier de pont métallique, et, vu sa hauteur, il est installé dans une fosse profonde pour être au niveau du sol et des rails de la remise circulaire. Il tourne sur un pivot central et des roues, roulant sur un rail circulaire posé dans la fosse, permettent de compenser un déséquilibre éventuel crée par une locomotive mal centrée sur le pont. En principe les locomotives doivent être parfaitement centrées, et il est même possible, dans ce cas, de faire tourner le pont avec la seule force d’un homme, même si la locomotive pèse plusieurs dizaines de tonnes !

Le pont tournant, souvent confondu avec la plaque tournante, est un élément important de l’univers ferroviaire. Contrairement à la plaque, le pont est mu par un moteur dit « tracteur » installé à une extrémité et entraînant un des galets roulant sur un rail circulaire. Certains petits ponts tournants des débuts n’avaient pas de force motrice et demandaient un « virage » fait par les cheminots unissant leurs forces en s’y mettant à plusieurs…

La plaque tournante, plus petite, n’a pas de fosse profonde, et elle est posée sur le sol sur une cuvette de faible profondeur. Elle tourne, elle aussi, autour d’un pivot central, mais n’a pas de « tracteur » : le matériel roulant est « viré » à bras d’homme ou par la force des chevaux attelés et tirant sur des cordes, guidées et réorientées par des « poupées » tournantes formant un réseau de câbles au sol souvent dangereux.

Les premiers chemins de fer ont été miniers, et les galeries de mines sont creusées perpendiculairement les unes par rapport aux autres. La seule manière de faire circuler les wagonnets d’une galerie à une autre est la petite plaque tournante qui, donc, fait partie des origines du chemin de fer.

Les premières gares de chemin de fer des années 1830 et 1840 utilisent, très naturellement, des plaques tournantes disposées par batteries entières sur les voies à quai, ceci pour permettre de faire circuler transversalement les wagons d’une voie à une autre pour former les trains. Ce système, lent et malcommode, est peu à peu remplacé par des aiguilles qui permettent le changement de voie immédiat et intégral pour un train ou une rame entière.

Locomotive Midi sur une plaque tournante (et non un pont-tournant) dans un dépôt apparemment sans remise ou « parc ».
Locomotive type 230 sur un pont-tournant d’un dépôt en 1903.
Magnifique Pacific Nord sur un pont-tournant en 1923.

L’utilité du pont tournant est de desservir un grand nombre de voies de garage en occupant un minimum de place, et de permettre l’entrée ou la sortie de n’importe quelle locomotive sans déranger les autres. Une remise circulaire abritant 48 locomotives, par exemple, devrait, faute de pont tournant, avoir 48 appareils de voie desservant les voies de garage et permettant la sortie indépendante de toute locomotive : on imagine la complexité et l’étendue du faisceau de voies sur plusieurs centaines de mètres… Au contraire, avec le pont-tournant, toutes les locomotives sont regroupées en un seul lieu, et toutes peuvent entrer, sortir, être entretenues en toute indépendance.

Les premiers ponts tournants ne sont pas motorisés. Le pont tournant courant des années 1890 à 1930 est long d’environ 14 mètres. Il est aussi constitué de deux poutres en tôle formant un tablier de 0,90 m de hauteur en son centre et de 0,60 m de hauteur aux extrémités. Le pivot est en fer forgé, et il est coiffé d’un plateau en font relié au pont tournant proprement dit. Les extrémités du pont sont supportés par quatre galets en fonte d’un diamètre de 0,60 m roulant sur un rail circulaire. Le pont pèse, à vide, entre 20 et 35 tonnes, et il reçoit une locomotive pouvant peser jusqu’à 60 ou 70 tonnes même.

Les amateurs exploitant les réseaux historiques actuels retrouvent, par la force des choses, les gestes ancestraux pour le « virage » des locomotives, comme ici, en 2014, sur le réseau en voie métrique du Vivarais.

Bref: en poussant sur un des leviers situés aux extrémités du pont, on déplace jusqu’à 100 tonnes que l’on fait pivoter du bout du bras ! Bien entendu, l’accroissement du poids des locomotives des 1930 à 60 dépassant 120 tonnes tender compris, l’allongement des ponts tournants jusqu’à 17 et même 24 mètres, ont exigé, par la suite, l’installation de moteurs électriques et d’une cabine de manœuvre pivotant avec le pont.

Magnifique cliché pris par René Floquet : des locomotives Pacific État dans leur dépôt, années 1930.

La répartition des dépôts en France.

Il semblerait normal que les dépôts aient été répartis d’une manière pondérée et équilibrée sur les réseaux français pendant le XIXe siècle, mais il est vrai que les régions de montagne du Massif-Central ou de la partie sud des Alpes en sont dépourvues, alors que le Nord, le Pas-de-Calais ou la région lyonnaise et St-Etienne en sont abondamment équipées. Il est vrai que cinq grandes compagnies touchent l’Ile de France à partir de 1857 quand le Paris, Lyon et Méditerranée est constitué, et elles y installent toutes les cinq leur Dépôt principal avec La Villette (Est), La Chapelle (Nord), Les Batignolles et Vaugirard (Ouest), rue du Chevaleret (Paris-Orléans) et rue du Charolais (PLM). En outre quatre de ces grandes compagnies installent des dépôts pour le service des marchandises à Noisy-le-Sec (Est), La Plaine (Nord), Ivry (P.O.) et Villeneuve-Saint-Georges (PLM), et enfin trois d’entre elles installent de très actifs dépôts pour le service de la banlieue avec Nogent (Est), le Champ de Mars (Ouest) et Denfert (P.O.) : ainsi on totalise douze dépôts proches de Paris ou dans la capitale même !

Dans le Nord, les dépôts très actifs assurant les services de la traction des trains des grandes lignes sont ceux de Fives-Lille, Tourcoing, Hazebrouck, Valenciennes, Arras, Douai, Cambrai, tandis que les trains de charbon reçoivent les locomotives de Lens et Somain. Autour de Lyon, la concentration des grandes lignes parcourues de trains de voyageurs, et la création des dépôts de Lyon-Vaise, la Mouche, La Croix-Rousse et Badan sont une réalité entre 1854 et 1881, le dépôt de Badan étant lié à l’existence du grand triage crée par le transport des charbons de St-Etienne. La jonction entre les gares de Vaise et de Perrache est réalisée, en 1856, par le percement du tunnel St-Irénée, directement à la sortie ouest de la gare de Perrache et sous la colline de Fourvière.

En dehors de ces trois régions très privilégiées, les autres dépôts sont répartis en fonction des besoins de la traction et de l’autonomie des locomotives. Les tenders de la seconde moitié du XIXe siècle acceptent, désormais, de quoi effectuer des étapes de l’ordre de 150 km, ce qui fait que l’on va trouver sur les grandes lignes radiales françaises des dépôts crées tous les 150 km environ, soit dans une grande ville ayant la chance de se trouver là (Amiens, Rouen, etc.) soit, à défaut, dans un village qui aura la chance ainsi de devenir, en quelques décennies, une grande ville à son tour (Le Mans, Laroche-Migennes, etc.).

Certains dépôts sont installés dans des villes de faible importance mais qui ont été promues au rang d’ « étoile » ferroviaire, c’est-à-dire un centre d’où partent ou convergent plusieurs lignes, même d’importance très relative. C’est le cas des étoiles de Hirson, Laon, ou de Crépy-en-Valois (réseau Nord), ou Mézidon (Ouest), ou encore La Roche-sur-Yon ou Bressuire (Etat) ou Ste-Gauburge (Ouest), ou encore Capdenac et Auray (Paris-Orléans), Séverac-le-Château (Midi), ou Ambérieu et Veynes (Paris, Lyon et Méditerranée).

Il existe aussi des dépôts installés à l’intersection de deux lignes importantes, comme Saint-Germain-des-Fossés, sur le P.L.M., placé sur les lignes de Paris à Clermont-Ferrand et à Nîmes, d’une part, et, d’autre part, de Lyon à Limoges et Bordeaux. D’autres cas sont comparables comme Aulnoye, sur le réseau du Nord et à la fois sur la ligne de Paris à Bruxelles et de Calais à Bâle

Il y a, enfin, le cas très intéressant des dépôts dits « de pied de montagne » qui fournissent des locomotives puissantes ou des locomotives de renfort pour les trains des grandes lignes devant traverser ces montagnes. Si l’un des plus célèbres au monde est celui de Denver au pied des Rocheuses, aux Etats-Unis, en France, à une échelle plus modeste, on trouve Chambéry au pied de la Maurienne, Laroche-Migennes au pied du seuil de Bourgogne, Béziers au pied du Massif-Central et de la fameuse ligne de Neussargues, cette ligne étant tellement pentue et accidentée qu’il lui faut, en fait, une annexe-traction en moyenne tous les 20 km…

Les dépôts et les lignes en traction vapeur (en rouge) dans les années 1960 à la SNCF.

La disposition générale des dépôts.

Las conditions d’acquisition des terrains, leur disponibilité, l’intégration ou non dans une ville, la proximité ou non d’une grande gare, mais aussi la nature des services à assurer et le type de trafic, le type de locomotives utilisées, voilà autant de conditions qui font qu’en France on ne trouvera jamais deux dépôts ayant la même disposition sur le terrain, la même forme générale, même à l’intérieur d’une même compagnie ou réseau : il n’y a pas de normes impératives, parce qu’il est simplement impossible d’en faire.

En général, dans un XIXe siècle commençant et laissant encore beaucoup de terrains à bâtir disponibles jusque dans le cœur des villes, les compagnies n’éloignent pas les dépôts des grandes gares qu’ils desservent, ce qui permet de réduire les distances à parcourir entre le dépôt et la gare, et d’économiser du temps. On installe ainsi des dépôts en plein Paris à 1500 mètres des gares en cul-de-sac, à Bordeaux, à Marseille, à Lyon, Le Havre, Brest, Lille, Orléans, etc. Mais, après une ou deux décennies d’exploitation non seulement le dépôt est devenu insuffisant mais aussi la ville a grandi et occupé tous les terrains disponibles. La seule solution, donc, est le déplacement du dépôt qui est éloigné vers la périphérie de la ville, comme celui de Vaugirard qui « émigre » à Châtillon, tandis que les autres dépôts, sans être fermés, s’étirent ou établissent des services annexes au-delà des « fortifs » en proche banlieue. Pour de grandes villes de province, le dépôt est donc déplacé vers une petite bourgade inconnue mais dont le nom sera, désormais, célèbre dans le monde ferroviaire comme le dépôt de Fives (Lille), Sotteville (Rouen), Perrigny (Dijon), Mouche (Lyon), St-Roch (Nice) La Blancarde (Marseille), Mohon (Charleville) Longueau (Amiens) etc…

On peut constater que certaines compagnies ont ainsi établi des dépôts à faible distance des grandes gares, comme  le Nord, l’Est et l’Ouest, et que d’autres ont choisi carrément le dépôt intégré à la grande gare, comme le PLM avec la Gare de Lyon et le dépôt du Charolais, ou le P.O. avec la gare d’Austerlitz et le dépôt de la rue du Chevaleret.

En province, l’établissement presque général des gares sous la forme d’une gare de passage permet d’accoler le dépôt à la gare même, comme on peut le constater à Nancy ou Chaumont sur l’Est, Creil pour le Nord, Laval et Caen pour l’Ouest, Capdenac, Aurillac et Limoges pour le P.O., Clermont-Ferrand, Nevers, St-Etienne, et Dijon pour le P.L M. La croissance du trafic oblige à construire des rotondes supplémentaires à partir des années 1880, ce qui est le cas à Dijon avec pas moins de trois rotondes plus un « parc » à l’air libre, donnant quatre ponts tournants et autant d’éventails de voies.

À Dijon, voici un très bel ensemble de rotondes, accompagné d’un gril, ici dessiné sur des plans SNCF datant de 1947. On notera le terme de « parc » pour un ensemble de garages annulaire à l’air libre, sans remise.
À Paris, le plan, du légendaire dépôt de La Chapelle (hélas disparu aujourd’hui) : pas de rotonde ni de grand pont-tournant, mais des remises et des ateliers à voies parallèles et une multitude de petites plaques tournantes.
Vue « pédagogique » du dépôt de La Chapelle, au temps des TAR Nord.
Alignement parfait, au millimètre près, des Pacific sur les voies du dépôt de La Chapelle, dans la tradition du grand perfectionnisme de ce réseau qui était extrême en toutes choses. La propreté des locomotives comme du matériel roulant était exemplaire. Les performances étaient,; de loin, supérieures à celles des autres réseaux. Les dépôts y étaient pour quelque chose !

Mais pour les gares ayant une des deux entrées dans un site difficile (saturation urbaine, relief avec un tunnel, traversée d’un fleuve sur un pont), on n’a pas le choix, et c’est l’autre entrée qu’il faut choisir. C’est le cas à Aurillac, Chaumont, St-Brieuc,  avec un viaduc, Dijon, Chambéry, Valence avec un tunnel. Et souvent la gare de triage occupe déjà l’autre entrée…

La plus grande rotonde de France : Chambéry.

La ligne de la Maurienne est la première grande ligne de montagne en France. Cette grande ligne internationale relie la France à l’Italie en 1866, empruntant, entre Chambéry et Modane, la vallée de la Maurienne, en suivant le cours de l’Arc. Chambéry est une gare très importante, et siège d’un dépôt de « pied de montagne » fournissant les locomotives de renfort permettant d’affronter la dure et longue rampe de la Maurienne. Récemment, la fameuse rotonde de Chambéry a fait parler d’elle lors des fêtes de son centenaire, puisqu’elle a été construite en 1907.

Les ateliers pour l’entretien et le remisage des locomotives sont édifiés à Chambéry sur les anciens marais de la Cassine. La ligne connaît un trafic si intense que les installations de Chambéry sont en continuel remaniement, et les 90 locomotives du dépôt demandent de nombreux mouvements qui sont peu commodes avec l’ancienne remise rectangulaire à voies parallèles. Le PL.M. construit en 1906-1907 une nouvelle rotonde, et qui a pour particularité d’être entièrement couverte vu les rigueurs du climat. Sa charpente métallique de toiture est inspirée par l’architecture métallique de Gustave Eiffel, donnant une des toutes dernières grandes réalisations françaises d’une charpente métallique articulée de grande portée : le béton armé prend la relève.

Le construction, sur pilotis, des 18 piliers d’angle du mur polygonal est faite avec des pierres de taille tirés des carrières de Villebois, dans l’Ain. Les pièces de la charpente métallique arrivent préassemblées, et comporte une partie annulaire de 27 mètres de large reposant sur les 18 piliers de pierre du mur, et d’une coupole de 55 mètres de diamètre soutenue par des piliers métalliques dans le prolongement des arcs. Cette rotonde culmine à 34 mètres, elle a un diamètre 110 mètres pour une surface de 9500 m2, et une masse de 900 tonnes.

Échappant au bombardement allié de 1944, menacée de démolition en 1982, la rotonde est finalement inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques en 1984.  Entretenue et restaurée par une équipe de la SNCF spécialisée dans la réparation des ponts métalliques utilisant le traditionnel rivetage à chaud. Cette rotonde est toujours en service et accueille chaque jour 52 locomotives et en expédie 54. L’établissement de maintenance réceptionne quotidiennement 6 locomotives pour subir des travaux d’entretien courant.

La rotonde de Chambéry et sa coupole, dans les années 2010.
À l’intérieur de la grande rotonde de Chambéry, en 2006. Les « anciennes » de la Maurienne sont, heureusement, toujours là.

La fin de la vapeur et le bouleversement.

La fin de la traction vapeur ne signifie nullement la fin des dépôts, contrairement à ce que l’on pourrait croire, et bien des noms célèbres de dépôts anciens brillent toujours sur les engins de traction les plus récents. Mais il est vrai que, avec une locomotive électrique ou diesel-électrique remplaçant trois locomotives à vapeur, et autant pour les autorails et les automotrices par rapport aux trains de banlieue en traction vapeur, le nombre de dépôts diminue, tout comme leur importance.

Ce sont surtout les réseaux de l’Ouest, de la Bretagne, de la Normandie, du Centre, ou de Lorraine, des Ardennes, du fameux plateau de Langres, qui souffrent des fermetures de lignes, donc de la diminution des activités ferroviaires. Mais aussi une augmentation d’activité donnant lieu à une électrification intensive, comme dans le Nord, la Région Rhône-Alpes, l’Alsace, conduit à redistribuer les cartes et les rôles, la locomotive électrique ayant moins besoin de la proximité d’un dépôt et étant d’une disponibilité et d’une autonomie sans limites.

Les anciens « gestes du métier » dans les dépôts.

Dans les régions SNCF des années 1960-1980, les dépôts de Chauny, Montdidier disparaissent sur le Nord, de La Flèche ou de Fontenay-le-Comte sur l’Ouest, de Mont-de-Marsan ou de Bort sur le Sud-ouest, de Sembadel, d’Allerey, de Saint-Rambert d’Albon, de Nice, ou de Vogüe sur le Sud-Est.

Mais l’électrification, et surtout les lignes à grande vitesse, créent de nouveaux dépôts, très actifs et aux emprises très étendues, comme à Villeneuve-Saint-Georges, Conflans pour le TGV Sud-est, Châtillon pour le TGV Atlantique, Lille et Le Landy pour Eurostar et le TGV-Nord Europe, Pantin pour la LGV-Est Européenne. Le gril mesure plus de 500 mètres, donnant les plus grandes installations ferroviaires de ce type jamais construites. Au Landy, l’atelier dit « continental » pour les rames autres qu’Eurostar occupe 11 400 m², tandis que l’atelier Eurostar occupe 9 860 mm²2, et un troisième atelier dédié à l’entretien lourd des rames occupe 6 300 m². La longueur de l’ensemble des installations est d’environ 2000 mètres !

Les 19 rotondes dites « type P », en béton armé, viennent clore l’histoire de ce bâtiment après la Seconde Guerre mondiale. Cette rotonde est conçue par l’architecte Bernard Laffaille en 1944, quand la SNCF prépare clandestinement le grand retour de la paix. On note que le bâtiment est à 360°, donc forme une circonférence complète. Les entrées et sorties se font par des stalles ouvertes dont la partie inférieure a un passage libre.

Les nouvelles appellations.

On ne dit plus « dépôt » ou « ateliers » à la SNCF, du moins officiellement, même si ces termes survivent dans le langage courant. Les anciens « Dépôts titulaires », propriétaires d’un parc d’engins et en assurant la maintenance et l’exploitation, sont devenus des « Établissements maintenance et transport » (EMT). Les anciens « Dépôts relais » sont des « Établissements de transport » (ET), et seules les annexes gardent leur nom. Pour les ateliers, on a des « Établissements Industriels de la Maintenance du Matériel » (EIMM). Ce n’est pas qu’un simple changement d’appellation : la maintenance n’est plus conçue de la même manière, privilégiant l’importance du diagnostic, de la qualité, et aussi l’autonomie des établissements et leur certification.

Un dépôt, pardon un « Technicentre », actuel SNCF à Châtillon.

Le patrimoine immobilier du Matériel.

Le chemin de fer, pour l’opinion publique, c’est le train… Peu de personnes pensent qu’ils prennent et quittent les trains dans une gare, et que, si les trains roulent, c’est parce qu’ils sont construits et entretenus dans des ateliers et des dépôts : les bâtiments sont au cœur du chemin de fer. Il a fallu, au début du XIXe siècle, faire appel à des architectes particulièrement audacieux et innovants pour qu’ils inventent, à l’intention des réseaux de chemins de fer, des bâtiments complètement inédits, sans aucun précédent ni exemple dans le passé.

Les bâtiments qui intéressent le Matériel sont souvent à l’écart des yeux du grand public, loin du centre des villes, ils sont exposés à la démolition rapide, surtout quand le chemin de fer évolue techniquement. La reconstruction du réseau de la SNCF au lendemain de la Première Guerre mondiale, et plus encore au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec d’importants changements techniques, a toujours gommé très rapidement tous ces bâtiments à la pure fonction technique, alors que les gares, visibles directement au cœur des villes, ont une plus forte « lisibilité » culturelle et, de ce fait, sont beaucoup plus protégés par leur intégration directe dans ce que l’on n’appelle pas encore le patrimoine mais qui est déjà perçu comme un lien avec le passé et le cadre de vie.

Toutefois quelques rares bâtiments des ateliers ou quelques rares rotondes ont fait l’objet d’une action de préservation ou d’inscription aux Monuments Historiques, citons entre autres les ateliers privés Buddicom de Sotteville remontant à 1845, les ateliers du Creusot datant de 1865, mais surtout les ateliers de St-Symphorien de l’ancien réseau du Midi datant de 1891, les rotondes PLM de Chambéry qui a été construite en 1907, ou la rotonde du réseau Est de Mohon d’une année plus jeune.  Ces bâtiments industriels ferroviaires sont maintenant reconnus en tant que Patrimoine industriel (le terme a une quarantaine d’années à peine), et leur sort dépend de la Commission Nationale Patrimoine et Architecture (CNPA) des Monuments Historiques du Ministère de la Culture.

Si les ateliers et les dépôts furent construits sur le modèle des grandes usines du début du XIXe siècle, donnant des bâtiments de facture très simple, c’est bien sous le Second empire que les architectes et les ingénieurs des réseaux conçoivent la rotonde pour garer les locomotives et les grands ateliers à voies parallèles pour la construction et l’entretien de l’ensemble du matériel roulant, et ce sont bien ces bâtiments-là qu’il importe de préserver.

À la création de la SNCF, le réseau de l’Est comporte encore 6 rotondes à coupole (ou « à chapeau ») à 32 voies chacune, et celui du PLM en comporte pas moins de 24 rotondes à coupole dont le nombre de voies se situe entre 24 et 36 voies, soit 30 rotondes en tout. La SNCF décide de ne conserver en principe qu’un seul dépôt dans les villes qui en comportaient plusieurs du fait de leur position sur deux réseaux des anciennes compagnies, avec une exception pour Bordeaux qui garde ses dépôts PO et Midi, et pour Rouen qui garde ses dépôts Etat et Nord. Les choses ont évolué d’une manière telle que, aujourd’hui, de ce patrimoine de 30 rotondes à coupole, il en reste deux, celles de Mohon et de Chambéry. D’autres réseaux, comme celui du Nord, avaient rarement recours à la rotonde : après avoir utilisé le garage en éventail, souvent à l’air libre, le réseau construit des dépôts rectangulaires en briques avec des voies parallèles, décalées les unes par rapport aux autres. C’est bien le PLM qui a les dépôts les plus impressionnants et les plus nombreux, puisque certains établissements comptent jusqu’à cent locomotives, mais les diamètres étaient souvent plus modestes du fait de la moindre longueur des locomotives, et ne dépassaient pas 75 ou 80 m, exception faite pour la rotonde de Chambéry avec 110 m. La SNCF est une grande constructrice de rotondes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle fait appel à l’architecte Bernard Lafaille qui imagine la rotonde type « P » en béton armé. À partir de 1946, pas moins de 19 rotondes « P » sont construites, avec des diamètres variant de 108 m à Avignon, jusqu’à 156 m à Noisy-le-Sec, qui est la plus grande rotonde jamais construite en France,

En guise de conclusion, quelques images (tristes) du dépôt de Laon photographiées par Alain Stome.
La « Florentine ».
La rotonde type « P ».

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